DÉSIRS D’ENFANT : RESSORTS ET IMPASSES
Prématurés, précaires, traumatisés, exilés…

Cette année notre thème de recherche est le « désir d’enfant ». Nous en explorerons les ressorts et les impasses au sein d’un paysage clinique des plus variés. Les changements sociétaux, conjugués aux progrès de la science, sont l’occasion de renouveler nos questionnements – et sans doute d’ajuster notre pratique. Si la contraception a déjà pu en son temps disjoindre sexualité et maternité – laissant place au désir et à ses jouissances – aujourd’hui la Procréation Médicalement Assistée (PMA) crée de nouvelles disjonctions. A l’occasion de la mise en place de la loi du mariage pour tous, véritable vacillement des repères classiques, les psychanalystes rappelaient « qu’il revient à chaque être parlant de trouver les voies de son désir, qui sont pour chacun singulières, tordues et marquées de contingence et de malencontres »1. L’actualité récente est, quant à elle, marquée par l’avis favorable du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) à l’ouverture de la Procréation Médicale Assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules2. Lors de notre rencontre du 17 mai prochain la révision de la Loi bioéthique sera sans doute effective et nous aurons à la prendre en compte. Pour l’heure cet avis témoigne de l’ouverture nécessaire à de nouvelles conditions d’accueil du « désir d’enfant », désir d’une seule ou désir de chaque « couple » –quel que soit le montage ou l’appareillage contemporain des êtres et des idéaux.

Dans le contexte de cette autorisation juridique, nous avons à nous interroger sur le « désir d’enfant » dans ses ressorts subjectifs, un subjectif qui se désolidarise de toute considération morale ou idéale. La Loi en question va en effet bien plus loin : elle touche à l’ordre naturel de la procréation. Le juridique oriente soudainement tous les possibles. Les « ondes de chocs » de cette Loi se répercutent dans toutes les institutions qu’elles soient familiales ou de circonstances ; elles influent sur les pratiques médicales qui doivent prendre en compte les modifications tant sociétales que scientifiques qui n’ont d’autres choix que de rejoindre la subjectivité de l’époque. Des médecins nous rapportent accompagner les femmes dans une procréation autorisée à l’étranger alors que les lois françaises et leur cadre juridique ne le leur permettent pas. La pratique médicale est aujourd’hui convoquée en un lieu qui la dépasse. Il revient au médecin qui accueille le désir en jeu de mettre lui-même une limite « aux possibles sans limite » que la science permet. Le Professeur Ansermet3 qui suit nos travaux et nos inventions avançait récemment :

A l’heure où le recours à la Procréation Médicale Assistée (PMA) permet l’arrivée d’un enfant, le risque est grand que la demande « tourne » à la commande et occulte le désir en jeu.

L’exigence de satisfaction, qui sans doute vient rassurer la confrontation à ce que nous nommerons un Réel 5 , dévoilé à notre époque, occulte les ressorts de la demande.
Alors, commande ou demande ? Le « désir d’enfant » se trouve déplacé par les progrès de la science et les nouveaux idéaux en matière de « famille ». Le 17 mai prochain nous converserons autour de situations cliniques des plus étonnantes. Nous avons à accompagner les médecins aujourd’hui en première ligne pour répondre à tous ces possibles.

Mais les médecins témoignent aussi du caractère à chaque fois particulier des demandes qui leur sont faites, demandes qui inaugurent la prise en compte de la singularité du parcours de chaque femme, de chaque couple. Ils sont nombreux à nous faire part de grossesses spontanées après des années de protocoles. Tout comme ils sont nombreux à nous faire part des essais multiples de procréation qui se grèvent d’échecs et de déceptions répétées, enfermant toujours plus leurs patientes dans un rabattement de leur « désir d’enfant » sur un « vouloir un enfant ». Etre ou avoir ? Notre collègue psychanalyste Dominique Laurent parle de « … de burn out de son désir »6. Nous avons à prendre en compte l’intrication des progrès de la science – qui s’invitent à tous les étages de la vie intime des sujets – et les incidences de la modernité sur les vicissitudes du désir subjectif . Le désir – et qui plus est le « désir d’enfant » – ne peut se réduire à quelque vouloir. Si la science a aujourd’hui les moyens physiologiques et techniques de répondre à toutes les envies, le « désir d’enfant » ne peut se réduire à quelque expérience scientifique. Le parcours de Procréation Médicalement Assistée (PMA) – au-delà de son montage technique -n’est pas épargné par l’idéalisation, par la possibilité d’avoir l’enfant tant rêvé, qu’elles que soient les conditions de sa conception et l’âge des ovocytes en jeu ! Internet maintient l’illusion, sans réserve.

Quelle place pouvons-nous encore faire au surgissement subjectif qui ne manque pas de montrer le bout de son nez au cœur de chaque expérience ? Tout l’enjeu de notre rencontre du 17 mai 2019 est là.

Forts de ces constats, n’y a-t-il pas urgence à explorer la manière dont le subjectif peut venir sub- vertir le biologique ?
Dans les services de médecine, qui doivent rester des « abris » – abris pour dire, abri pour vivre – se croisent les symptômes les plus divers que notre société contemporaine et sa précarité génère : accueil de très jeunes femmes enceintes dont les conditions de venue au monde de l’enfant à venir sont des plus aléatoires, accueil d’adolescents, adolescents projetés malgré eux dans un projet d’enfant qui les dépassent, adolescents malades qui après l’annonce de la nécessaire chimiothérapie entendent la nécessaire préservation des potentielles gamètes reproductrices, accueil de l’éventualité d’un diagnostic de « disparition folliculaire » qui précipite le sujet dans d’abyssales projections…etc
S’engager dans un parcours de PMA – en France, en Espagne ou ailleurs – choisir ou réaliser une IVG, accoucher à 13 ans, accoucher dans la rue, n’avoir que la rue comme abri, devoir en urgence prélever des ovocytes ou les spermatozoïdes avant une intervention, sont autant de situations de précarité que nous avons à accueillir.

« Prématuré », le petit d’homme l’est toujours à la naissance, incapable de survivre sans quelques autres. « Seul », le sujet le sera toujours dans le rapport au désir qui l’anime et qui le tend vers l’autre pour ne pas sombrer dans l’isolement 8. Et enfin « précaire », il l’est de structure, dans le rap- port à un langage qui ne dira jamais-toute la vérité de son être.

La psychanalyse s’oriente de cette précarité subjective ; elle ouvre à l’invention et à la création. Parce que le sujet est un « être de langage » traversé par un désir qui le dépasse, les conditions subjectives d’arrivée d’un enfant au monde ne peuvent que passer par le prisme d’une langue privée, celle de son histoire.

Il n’est sans doute pas contingent que cette précarité éminemment symbolique puisse rejoindre une certaine précarité sociale. Nous donnerons une place à ces femmes vivants dans la rue, en proie à une sexualité de tous les dangers, une place à ces femmes qui, enceintes, n’ont que la seule solution du refuge en foyers d’accueil…

Qu’en est-il du désir quand il peine à trouver écho dans l’autre ? Qu’en est-il du désir d’enfant lorsqu’il peine à trouver habitat ? Et puis, parfois l’enfant paraît. « La PMA ne pose pas de problème à l’enfant en soi »9. Nous ferons donc logiquement place aussi ce 17 mai aux fictions et aux romans des enfants qui n’ont de cesse de convoquer leur mythe – toujours renouvelé et unique – des origines.

L’enfant se racontera toujours une histoire sur son origine, un « roman familial » auquel il tiendra, au-delà de toutes les réalités évoquées, au-delà de tous les montages dont il est issu ! L’enfant se construira toujours sa propre fiction :

Aussi

A l’heure contemporaine, l’enfant porté à être exigé ou commandé restera toujours sans frontières… qu’elles soient économiques, sociales, culturelles ou médicales. A l’heure de toutes les possibilités de la science en matière de procréation, avoir « un-enfant-à-tout-prix » guette autant les couples hétérosexuels que les couples homosexuels, les femmes seules ainsi que les parents adoptifs. L’enfant serait donc bien plus « étranger » à ses parents qu’il n’y paraît et qu’il leur apparaitra ; les symptômes de l’enfant signent donc toujours la présence d’un au-delà… éminemment subjectif. Entre « être » et « avoir », nous préoccuper des conditions de venue au monde d’un enfant ouvre la voie à un désir qui, de ressorts en impasses, et d’impasses en ressorts n’est pas sans nous surprendre !

Issu d’un travail de terrain sans relâche, d’une série d’ateliers cliniques, de nombreux échanges dans les lieux de soins avec des équipes engagées et parfois déboussolées, nous avons fait le choix de partager nos étonnements et nos questionnements dans un colloque très clinique, véritable « work in progress », qui s’appuiera sur de nombreuses expériences de rencontres et s’enrichira de témoignages d’acteurs de soin qui font avec nous le pari de la surprise. Cette année, des médecins de PMA, nos collègues de PMI, des gynécologues, des infirmières, des éducateurs, des sages- femmes, des internes, des étudiants, des analystes viendront témoigner de leur clinique. Nous nous orienterons de quatre thèmes13 :

  • L’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) : enjeux et déclinaisons
  • L’éveil à la puberté et ses exils
  • Les fictions de naissance et les romans de l’enfant
  • Les cliniques de la précarité : « Être à la rue »

Notre invité d’honneur sera le Docteur François Leguil, médecin psychiatre et psychanalyste à Paris, membre de l’École de la Cause Freudienne et de l’Association mondiale de Psychanalyse. Dans son article « Psychanalyse et gens de la médecine »14, François Leguil retrace avec finesse l’enseignement de psychanalystes et médecins. En voici deux extraits :

Il aura la difficile tâche, à partir de conversations, d’échanges et d’exposés, d’extraire les points les plus saillants et les plus enseignants de la rencontre pouvant guider notre pratique et orienter notre clinique.

Docteur David Briard, Emmanuelle Borgnis Desbordes, Chantal Tanguy

  1. Laurent E. Du mariage et des psychanalystes. Qui s’occupera des enfants ?, p 59
  2. Borgnis Desbordes E. Désir d’enfant, mon amour… Revue en ligne, Lacan Quotidien, n°794, Octobre 2018.
  3. Le Professeur François Ansermet, pédopsychiatre et psychanalyste en Suisse, était notre invité lors de nos dernières rencontres Psychanalyse et Médecine en avril 2018 à la Faculté de médecine de Rennes 1, rencontres sous le titre : « Le Grand désordre dans les corps ». Il nous avait déjà ouvert aux nouveaux montages contemporains et à la nécessité de rejoindre – nous, professionnels de santé et cliniciens – la subjectivité de notre époque, de manière avertie et non moins éthique. Le Professeur Ansermet est membre du Comité Consultatif National d’Ethique (Français).
  4. Ansermet F. Du mariage pour tous… à la procréation pour tous. Entre malentendu et illusion. Revue en ligne Lacan Quotidien, n°794, octobre 2018
  5. « La réalité n’est que la grimace du Réel » Le Réel relève plutôt du non symbolisable, l’ombre portée d’une toute autre réalité.
  6. Laurent D, Techno-maternités. L’illimité du désir d’enfant. Être mère, des femmes psychanalystes parlent de la maternité. p 33
  7. Lacan J, Conférence à Genève sur le symptôme, texte établi par J.-A. Miller, revue La Cause du désir, n° 95, avril 2017, p. 17.
  8. La Sagna P. De l’isolement à la solitude, in revue La Cause Freudienne, 66, Paris, 2017,p.43.
  9. Cf. Titre de l’article de François Ansermet dans la revue le 1. Article en ligne : https://le1hebdo.fr/#
  10. Quignard P. (2007) La nuit sexuelle, Paris, Flammarion.
  11. Bonnaud H, L’inconscient de l’enfant, du symptôme au désir de savoir, Paris, Navarin. Hélène Bonnaud reprend une référence de Freud : l’inconscient familial. Cf. Le roman familial des névrosés [1909] in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF,1973, p-p157-160.
  12. Laurent D, Techno-maternités. L’illimité du désir d’enfant. Être mère, des femmes psychanalystes parlent de la maternité. p 19
  13. Ces quatres thèmes ont été mis au travail dans les ateliers cliniques de Puls-Médecine depuis septembre 2018. Notre colloque se veut partage d’expériences cliniques ciblées issues de rencontres avec des cliniciens qui quelque soit leur fonction professionnelle en savent quelque chose de la rencontre.
  14. Leguil, F, Psychanalyse et gens de médecine, Quarto n°91,p.41