Éditer le malaise


« Éditer le malaise »  Sarah Camous-Marquis

Retour sur les ateliers clinique puls-médecine – Année 2022-23 – Rennes

Il y a, à plusieurs égards, de l’inédit dans les ateliers PULS-médecine[1]. Le thème de l’année, « L’urgence, la solitude et l’administration du soin », est en prise directe avec le malaise criant à l’hôpital. Si, au CHU, on s’habitue aux vagues de départs, ce renoncement est symptomatique et mérite qu’on s’y attarde. Emmanuelle Borgnis Desbordes avançait que « bien sûr l’hôpital est en crise, et ce n’est pas nouveau ! Mais qu’est-ce qui pousse vraiment à renoncer… au-delà des conditions de travail, au-delà de la pression accrue sur le personnel soignant… au-delà de l’urgence à traiter qui semble s’être immiscée dans tous le quotidien du soin. Si nous ne pouvons occulter la part subjective en jeu dans les choix de chacun – la part de responsabilité que chacun prend dans ce qu’il engage – il est indéniable qu’un vaste mouvement opère poussant à céder… Les soignants ne peuvent pratiquer à n’importe quel prix… »

Julien Lacoste, médecin urgentiste, invité au premier atelier clinique de l’année, s’est fait éditeur du malaise dans la civilisation, au sens où le propose Éric Laurent pour le texte analysant[2]. Si son départ de l’hôpital est récent, son propos n’en fut pas moins vif. Se distinguant de la promotion d’une « urgence ressentie » de Patrick Pelloux, il a rappelé que les urgentistes n’étaient pas formés à l’urgence médico-sociale. L’hôpital est un lieu médico-technique. Alors, interroge-t-il, « à quel moment ça n’a pas fonctionné pour que ce soit nous qui l’accueillions ? » Si, là encore, nous aurions pu en rester à une lecture connue de l’effondrement des services publics, Julien Lacoste propose un pas supplémentaire. « On a objectivé les patients, on a objectivé le corps. Ils ont ce rapport « objet » avec leur corps. […] Les patients imaginent que les urgences, c’est un SAV. » Il repère une difficulté croissante à « extirper le symptôme » mais, aussi, un effet chez les médecins qui deviennent des   « producteurs  de soin » au sens d’une industrialisation. Les progrès de la médecine conduisent à une inflation de l’imagerie au détriment du sens clinique, par crainte de rater le pourcentage minime de tableaux cliniques graves. À cela s’ajoute une montée en puissance du médico-légal. Si le médecin existe encore, souligne David Briard, il prend une responsabilité. C’est bien là qu’est apparu, d’une façon lisible, le nœud de l’affaire. Les protocoles, bonnes pratiques, progrès techniques, réduisent à peau de chagrin la responsabilité du médecin, non au sens de responsabilité légale mais de responsabilité subjective, de l’acte du médecin. Côté patient, avec un corps objectivé, même résultat : une difficulté à en dire quelque chose, à se faire responsable de ce qui a poussé aux urgences (en dehors des urgences médicales). 

Julien Lacoste nous propose cette belle conclusion : après avoir appris les protocoles par cœur, comme des partitions, il en est devenu compositeur. Du soin, il se fait artisan. Pouvoir rester interprète et responsable, une boussole éclairante pour penser la clinique et l’urgence dans toute institution.


[1] Ateliers cliniques PULS-médecine, sous la responsabilité d’Emmanuelle Borgnis Desbordes et David Briard.

[2] Laurent É., Interpréter la psychose au quotidien, Mental n°16, octobre 2005.