Les procédures sont revues tous les jours au fur et à mesure de la diffusion, de la présence du virus et de l’arrivée des formes graves. 3 messages :
« L’urgence est en attente, confinée au domicile des gens. »Dr David Briard
Les urgences pédiatriques se sont vidées de leur activité quasi dans toute la France. Leur fréquentation a baissé de 60 %. Faut-il s’en inquiéter ? OUI.
L’arrêt de la scolarité décidé il y a 15 jours a eu raison de toutes les épidémies virales habituelles. Il n’y a surtout plus leurs complications, des surinfections multiples et variées. Les enfants de moins de 3 mois ne viennent plus aux urgences pour fièvre. Ils n’ont plus les bisous de leurs visiteurs. J’avais interviewé un collègue chirurgien pédiatre dans la perspective de Puls #3 sur la traumatologie provoquée par les trottinettes dans un contexte ou personne ne s’inquiétait de l’augmentation de 5 % des accidents motivants une consultation aux urgences à cause de ces nouveaux engins. De même, pour les accidents vasculaires cérébraux produits dans les trampolines chez les jeunes. Plus de trottinettes, plus d’accidents, plus de sport, plus d’accidents de sport. Juste une chute de balançoire, par ci par là.
Tant mieux, c’est une chance. « Les forces libres », signifiant employé au président d’une France en guerre, sont disponibles pour accueillir les patients suspects de covid 19. C’est du travail, de la rigueur, et il faut beaucoup plus de temps. Les premières études chinoise descriptives arrivent. On découvre, de rare cas possibles sévères chez l’enfant pour complexifier les choses. Les enfants sont transmetteurs asymptomatiques. De ce fait, il y a un fort risque que le covid 19 fasse son irruption dans les services conventionnels là où l’activité n’a pas diminué. Les mesures possibles pour limiter la transmission sont prises avec leurs limites. Nous réalisons toujours des diagnostics de diabète, de cancer, de déficits immunitaires, d’abcès rénal, d’état de mal épileptique ou d’intoxication médicamenteuse … pour les derniers hospitalisés.
Pour autant, face à ce calme tout relatif, rien n’est rassurant. Si le monde s’arrête, alors les urgences s’arrêtent. Étrangeté. Rien n’est si évident. Ma première pensée a été : « Notre vie de tous les jours est à ce prix ». C’est fou. Aller à l’école, s’embrasser, courir, jouer, coûte donc si cher en casse, en réparation de corps, en avis médicaux, en anesthésies générales, urgences toutes confondues, tous médecins confondus qui y répondent. Les urgences jouent fondamentalement un rôle, nous permettant nos libertés misent en suspend actuellement.
Deuxième pensée, une question. Les gens font-ils davantage appel à leurs propres ressources, de leur bon sens pour traiter les bobos ? L’urgence serait traitée au domicile pour se rendre compte qu’il n’en s’agissait pas d’une. On ne vient aux urgences que si le bras est déformé après la chute.
Et puis le temps 3 est venu après avoir eu quelques consultations en présence du corps en chair et en os. Tiens, les ambulanciers attendent leurs patients à l’extérieur de l’hôpital. Doute. Les gens ne viennent plus par peur d’attraper le covid 19 aux urgences ou à l’hôpital. Il y a une peur plus grande que celle à la maison. Un réel l’emporte sur un autre. Celui de rester à la maison est moins pire. Il serait tentant de dire, « Voyez, la preuve ! Les gens viennent pour rien aux urgences. Voilà, le fonctionnement et la fréquentation que nous devrions avoir toute l’année ». Je crois davantage à nos futurs patients laissés dans leur solitude au domicile. La jouissance ne s’arrête pas. Les signes psychosomatiques ne sont plus rythmés par la scolarité mais sans doute par la peur du covid 19, mais on ne le sait pas encore. Les sujets cherchent à s’accrocher quelque part, à leur corps, à toutes les nouvelles formes de l’Autre pendant cet isolement. Je ne pense pas que les téléconsultations, sans examen physique, soient si rassurantes. Nombreux de mes collègues vous raconteront combien ils ont rectifié des diagnostics, ou en ont fait d’autres totalement imprévus. N’espérons pas trop de retards diagnostiques en disant trop rapidement, « restez chez vous ! », pour toute demandes de consultations.
Citation. Interview de Jacques Lacan pour le magazine panorama, 1974. [1]
« Vous dites : le réel n’existe pas. Mais l’homme moyen sait que le réel c’est le monde, tout ce qui l’entoure, qu’il voit à l’œil nu, touche.
Débarrassons-nous aussi de cet homme moyen qui, tout d’abord, n’existe pas. Ce n’est qu’une fiction statistique. Il existe des individus, c’est tout. Quand j’entends parler d’homme de la rue, d’enquêtes Doxa, de phénomènes de masse et de choses de ce genre, je pense à tous les patients que j’ai vu passer sur le divan en quarante années d’écoute. Aucun, en quelque mesure, n’est semblable à l’autre, aucun n’a les mêmes phobies, les mêmes angoisses, la même façon de raconter, la même peur de ne pas comprendre. L’homme moyen, qui est-ce ? Moi, vous, mon concierge, le président de la République ? ».
Les urgences ont perdu leur rôle d’accueillir la précarité, toute confondue, qui va bien au delà de la précarité sociale et dont tout le monde – encore plus en ce moment – est à l’épreuve chez soi. Le covid 19 s’insère dans nos vies au un par un. Nul n’est épargné nous dit Lacan. Oui les urgences ont se rôle de dispensaire pour tous, face au surgissement de l’angoisse.
« L’urgence est confinée, en attente, au domicile des gens. »
Le « Restez chez vous ! » oriente, donne un nécessaire sens et à la fois tout en le respectant, comment ne pas en être complétement l’objet ? Chantal Tanguy l’illustre dans « L’homme qui ne riait pas ».
Solidarité à tous les soignants travaillant auprès des patients Covid 19. Le message du Dr Céline Farges nous en fait prendre la mesure. Ç’est déjà çà, mais ça ne suffira pas. Solidarité d’autant plus que nous connaissons en pédiatrie l’épidémie chaque année de Virus Respiratoire Syncicial, ou nous adressons des patients en général de moins de 3 mois en réanimation et cherchons des lits, transférons dans d’autres hôpitaux pour mettre en sécurité nos patients. Qu’en sera-t-il de cette prochaine épidémie pour qu’elle soit prise à sa juste mesure ? La chaîne s’organise. Nous collègues urgentistes pédiatres partent pour renforcer le samu. Ils seront remplacés et ainsi de suite, nous allons devoir remplacer les premiers soignants malades.
Une lueur d’espoir entendue à la radio. Emmanuelle Fontaine-Domeizel, ex-infirmière, Députée, reprend du service. La réalité est ailleurs, elle veut travailler sur l’écart entre les directives de soins et le travail du terrain. De cet impossible à régler, comment redonner une place à l’acte des soignants et ne pas y convoquer une science de plus ? L’acte est imprévisible, non programmable, et fait que de paroles. Emmanuelle Borgnis Desbordes nous le développe dans « L’acte de chacun ».
« Les scientifiques ont beau dire que rien n’est impossible dans le réel. Il faut un sacré toupet pour affirmer des choses de ce genre, ou bien, comme je le soupçonne, la totale ignorance de ce qu’on fait et dit. » [1].
Médecin ne veut pas dire scientifique. Nous les entendons avec les incertitudes, introduire, prudence, doute, pulsation à bon escient, interroger leurs certitudes, prendre les décisions en conséquences.
« La psychanalyse n’est pas non plus une foi, et il ne me plaît pas de l’appeler une science. Disons que c’est une pratique, et qu’elle s’occupe de ce qui ne va pas ».[1]
[1] Jacques Lacan. La cause du désir n°88. P165, p 173. https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2014-3-page-165.htm