Mercredi 28 septembre, l’atelier « L’urgence : tromperies, temporalités » 

Urgence et tromperie

L’urgence occupe une place considérable et croissante dans le champ de la santé. « Osons envisager l’urgence comme tromperie » avance François Leguil en préparation du thème de notre année et de notre colloque du 9 juin 2023 prochain. La tendance actuelle est de faire Une l’urgence alors qu’elle mérite d’être diffractée, interrogée dans tous ses modes de surgissement, renversée. Elle induit un nouveau rapport au temps qui laisse peu de place à l’hésitation, au doute et à l’invention. Elle opère comme un véritable rouleau compresseur. L’urgence, c’est le nouveau règne de la nécessité contre la contingence [1] – soit l’inédit, la surprise, l’invention,. [2]

A y regarder de plus près, l’urgence n’est qu’un écran sur une réalité toute autre qui tend à être déniée : des sujets de plus en plus isolés.[3] Les sujets sont isolés dans un lien social dans lequel ils peinent à trouver inscription et les professionnels de santé tout aussi seuls sont pressurisés par un temps imposé, broyés par la protocolisation et pire, sommés de rendre des comptes sur la moindre de leur action. Radicalement seuls, ils ne s’autorisent plus la moindre invention. Les professionnels de santé, en première ligne sur le terrain, mettent pourtant tout en œuvre pour répondre, dans l’urgence, à toutes les demandes qui leur sont faites. D’ailleurs, ils ne savent même plus quel dispositif inventer pour y répondre ![4] En amont des services d’urgence, parangon d’une course effrénée à la réponse la plus adéquate, des équipes mobiles sont créées, des salles d’attente sont démultipliées, des professionnels ne cessent de faire et refaire des listes d’attente en fonction des degrés d’urgence pour essayer de répondre au mieux. Toutes ces inventions étaient déjà là avant la pandémie. Mais rien n’y fait, « ça ne suffit jamais ! » 

« Les services d’urgences sont devenus un véritable goulot d’étranglement, régulièrement remis en question par les politiques ». Il faut bien constater aujourd’hui leur échec « qui renvoie la responsabilité trop souvent au même manque, celui de l’organisation de la permanence des soins. La cardiologie, la pédiatrie, l’hématologie, la neurologie vasculaire, la gynécologie et bientôt la gériatrie créent leurs propres voies d’accès aux soins, leurs propres services d’urgence… »[5]

Mais rien ne se règle pour autant. Le constat d’échec cuisant nous invite à interroger la dimension de tromperie qui accompagne l’urgence. Le diktat de l’urgence dans le champ de la santé ne réfrène en rien l’inflation des demandes, peut-être même qu’il l’alimente. Les professionnels ont beau affiner les critères d’urgence et/ou évaluer les degrés d’urgence pour trier les patients – rouge, jaune, vert – ils ne maitrisent plus la situation. Leurs témoignages sont éloquents. Nous les entendrons. 


[1] Cf. Distinguo de Lacan entre le nécessaire et le contingent, Séminaire XX « Encore », Paris, Seuil.

[2] Crosali C. « La nécessité de faire avec la contingence du réel », Revue en ligne, Hebdo-Blog 239, 30 mai  2021

[3] Cf. Appui sur un texte de Philippe La Sagna qui distingue la « solitude » de « l’isolement » : « De l’isolement à la solitude », Revue de psychanalyse La Cause freudienne, 66, 2007, pp.43-49 – Cf. Cairn en ligne.

[4] Benz S. « Hôpital : l’accès aux urgences bientôt limité, ce qui va changer pour vous », L’Express en ligne, 10 juin 2022,  https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/hopital-l-acces-aux-urgences-bientot-limite-ce-qui-va-changer-pour-vous_2174989.html

[5] Argument du colloque Puls#3 « Cliniques de l’urgence : grandes manœuvres et petits arrangements », Juin 2022