Je remercie mes collègues de « Puls -Médecine » de cette invitation à Rennes, qui me fait d’autant plus plaisir qu’elle me rappelle qu’il y a bien longtemps dans le cadre d’un certificat de linguistique, j’ai eu la chance d’étudier l’aphasie sous la direction d’un grand neurologue, le Professeur Sabouraud.
L’an passé, à l’occasion de votre premier colloque, mon ami François Ansermet que vous aviez invité se servait de la notion d’interface pour examiner le rapport entre la médecine et la psychanalyse. Je voudrais aujourd’hui reprendre ce mot d’interface pour relever qu’on peut aussi bien poser que la médecine est dans une situation d’interface entre la psychanalyse et la science.
A la fin de sa vie enseignante, le Docteur Lacan notait que la psychanalyse n’était pas une science. Cela n’est pas banal parce que pendant une grande partie de son Séminaire, il s’était employé et efforcé de montrer que nombre des idéaux de la science étaient des éléments d’orientation présents et qui comptaient dans la psychanalyse.
Aucun d’entre nous ne pense que la médecine est une science exacte ; mais, tout de même depuis la deuxième moitié du 19° siècle, depuis la parution de l’admirable « Introduction à l’étude de la médecine expérimentale » de Claude Bernard, les choses ont un peu changé. La médecine n’est pas une science exacte, certes ; elle est pourtant une pratique très largement inspirée par une recherche de précision – à défaut d’exactitude – comparable à celle obtenue dans la démarche et les calculs des sciences dites exactes.
Dans cet esprit, nous pouvons soutenir que si l’on ne peut pas dire que nous œuvrons ici « au nom » de la science, nous le faisons « pour » la science, pour qu’elle ne soit pas dans notre champ aussi abstraite et ignorante des vrais enjeux subjectifs de la souffrance morale et mentale. Nous le faisons en acceptant le souci de la preuve des savants et l’obstination dans la recherche des causalités.
Au milieu des années soixante, dans son Séminaire, le Docteur Lacan a pu déclarer qu’il était « d’obédience scientifique ». Obédience, le terme est fort avec les significations qui sont les siennes : celles de l’affiliation intellectuelle et de la fidélité aux exigences de démontrer ce que l’on avance. Nous sommes ici pour une science qui cesserait de se désintéresser d’un déterminisme parce qu’il ne serait pas biologique, qui cesserait de nier la quasi évidence de ce déterminisme que Freud a désigné avec son concept de l’inconscient et que Lacan a prolongé avec la notion de sujet.
C’est pour cela qu’il nous faut parler avec les médecins, avec les infirmiers, avec leurs collaborateurs. Soutenus par leurs idéaux de précision et de logique, ils peuvent et doivent nous entendre les inviter à la considération d’une intégralité du champ que nous avons à traiter avec eux, et qui est le champ de la parole.
Dire que la médecine est une pratique scientifique est dire qu’elle est devenue efficace dans son ambition thérapeutique. Ce n’est pas vieux, si l’on remarque que cette ambition remonte à la nuit des temps. Un ami du grand médecin Dupuytren, Balzac, fait dire à l’un des personnages de « La maison Nucingen » que la médecine qui n’était qu’une « science conjecturale » (l’expression est dans le roman, en toutes lettres) vient tout juste d’acquérir le statut d’une « science positive ». On raconte aussi qu’alors qu’il était à l’agonie – Victor Hugo s’était rendu à son chevet – il aurait prononcé : « seul, Bianchon aurait pu me sauver » Horace Bianchon , le médecin inventé et crée par une imagination de génie, le médecin de toute « La Comédie humaine ». Rouvrons Balzac : médecin d’une médecine positive, et d’une discipline stricte, Bianchon n’est pas seulement cela : aussi rigoureux que ses maîtres et ses collègues, il est celui qui parle avec les malades qui lui parlent. Il les écoute et prend ainsi sa part des situations romanesques de la vie.