Le corps, un mille-feuille ? Mercredi 23/3/22

Le corps, un mille-feuille ?

Les patients se présentent toujours plus nombreux aux urgences en cette période de crise. Les urgences sont le lieu de tous les possibles et de toutes les surprises. Les soignants, en première ligne, accueillent scrupuleusement, méthodiquement, chaque patient et savent d’expérience qu’ils auront bien souvent affaire à l’inattendu – l’irréel, l’inconcevable, l’imprévu, les retournements de situation d’un jour à l’autre, d’une semaine à l’autre. Autant de signes de ce qui échappe qui fait là retour. Si dans leur accueil, les soignants se préoccupent de chacun et plus particulièrement de l’histoire récente des symptômes, ils s’engagent de leur désir à humaniser ce moment d’urgence. Qu’ils soient infirmier, étudiant ou médecin, ils prennent tous le risque de passer à côté du petit détail qui donnerait une autre issue à un diagnostic : c’est peut-être là d’ailleurs leur préoccupation majeure. Derrière la gestion de crise, un art du détail, un art qui fera toute la différence, peut-être même son efficace. 

Mais aujourd’hui la performance et la compétence s’invitent à tous les étages du soin… sous la forme de méthodes ad hoc, de protocoles à suivre ou encore d’actions projets à engager. Ces méthodes, valables pour tous, doivent être suivies parce qu’elles sont supposées efficaces. La protocolisation des actes de soin peut écraser ce qui fait toute l’humanité dans la rencontre. Seul chaque soignant peut déplacer les effets de cet appareillage infernal et engager son désir : choix de la petite différence. 

En accueillant ce qui fait souffrir ou dérange, le soignant fait aussi tenir les corps traversés de toute part d’une subjectivité parfois silencieuse. Pour mettre au travail cette question, nous invitons Monsieur Philippe Hardy,ancien directeur général de l’École européenne supérieure des arts de Bretagne de 2010 à 2015 et le Docteur Valentin Chauvel, psychiatre.

Le protocole en médecine est tellement devenu le stéthoscope du médecin qu’il n’est plus interrogé dans ce qu’il vient recouvrir : la rencontre entre les soignants et les malades. Il nous a semblé important d’aller voir du côté de l’art s’il existait aussi cette infiltration de la protocolisation dans les projets d’étude, les parcours et les expositions, si dans ce champ, là aussi, de tels discours et pratiques venaient à la place des sujets.

« Mille-feuille » est le nom d’une exposition d’art présentée par Mr Philippe Hardy. Dans le mille-feuille, il s’agit de composer avec des éléments hétérogènes qu’il s’agit de faire tenir ensemble. Le mille-feuille comporte une couche fragile rendant l’empilage subtil et délicat. Ce montage d’éléments hétérogènes n’est pas sans évoquer, l’hétérogène de ce qui fait tenir un corps, de ce qui fait corps : l’hétérogène de la rencontre des mots avec le corps. Si nous n’en connaissons pas l’issue, nous savons plus assurément que le corps peut se défaire, que l’échafaudage peut s’écrouler. Le Docteur Valentin Chauvel en sait quelque chose et il ne manquera pas de nous en apporter sa lecture.

Au cours de cette soirée, grâce à nos invités en prise directe avec le terrain, nous pourrons sans nul doute entendre les effets de la protocolisation des actes et des méthodes : un protocole qui n’est finalement que l’accumulation de mêmes couches, sans différence. Nous mettrons en tension le mille-feuille de cette exposition d’art et celui du protocole. Quels sont leurs intentions ? Leurs ressorts ? La tentation d’une réponse valable pour le groupe ? De quoi s’agit-t-il quand nous y opposons la création ? En psychiatrie, le corps est-il seulement parlé, qu’est-ce qui le tient ? D’ailleurs, quel mouvement est à l’œuvre derrière la montée sur scène des corps – ou performances – dans de nombreuses pratiques artistiques ? 

Autant de questions que nous tenterons d’approcher. 

Au plaisir de vous retrouver…

Dr David Briard et Emmanuelle Borgnis Desbordes