TNF, CNEP, SFC, TFI, TDAH, SCI, TOC… De quoi ces diagnostics sont-ils le nom ? Atelier le 27 janvier 2021 de 20H30 à 22H30 par zoom.
Trouble neurologique fonctionnel, crises non épileptiques psychogènes, syndrome de fatigue chronique, trouble fonctionnel intestinal, trouble de l’hyperactivité et de l’attention, syndrome du colon irritable, trouble obsessionnel compulsif…
Le signifiant « Psychosomatique » n’est plus tellement entendu aujourd’hui sur les bancs de l’université ou dans les nomenclatures. Et pourtant le corps ne cesse de montrer et de dire ! Le corps est peut être même le dernier lieu où se montre et s’entend ce qui est peut être véritablement en jeu. Il ne s’agit pas pour autant d’interpréter à l’envi les dits du corps. Ce qui reste essentiel est que le patient prenne la parole sur ce qui lui arrive et adresse ce qui entrave son montage de vie. Convoquer la « psychosomatique » permettait une certaine ouverture vers un nouage entre ce que dit le corps et ce qui ne peut se dire quant à ce qui affecte chacun. Ce signifiant ne circule plus en médecine, sauf chez quelques soignants à la « sensibilité analytique » – de plus en plus rare. La clinique psychosomatique relèverait d’une époque révolue comme si elle ne se justifiait plus. La science a eu raison de ce diagnostic et n’a de cesse de créer de nouvelles dénominations. Et pourtant quelque chose continue à faire objection, continue d’interpeler : « qu’est ce qui fait symptôme ? » Si les patients continuent de se plaindre d’un corps qui leur échappe, un corps qui n’en fait qu’à sa guise, les soignants, eux, éprouvent une inadéquation entre ce qu’ils savent et les symptômes qui se manifestent, inadéquation qu’ils peinent à mettre en mots et à traiter : de nouveaux diagnostics prêts-à-porter viennent en lieu et place de cette inadéquation mais ils ne disent toujours rien du véritable enjeu.
Les « gens de médecine », engagés dans la rencontre avec leurs patients, sont aujourd’hui déboussolés dans leurs repérages habituels, surpris par des manifestations symptomatiques nouvelles et finalement peu satisfaits de ce que la scientifisation produit. Le Docteur François Leguil parle d’une « destitution subjective » à l’endroit de cette inadéquation.
« Ce que Lacan au fond nous apprend, c’est ce que les médecins éprouvent ». Et « ce que les médecins éprouvent, c’est que dans la scientifisation de leur exercice, ils ont subi une opération que Lacan appelle la destitution subjective ».
Leguil, F, « La médecine et la science : comment compter avec le sujet ? Nous sommes tous des phénomènes psychosomatiques », Bulletin association de la cause freudienne de l’Est.
La « destitution subjective » opère justement à l’endroit où les repères habituels venaient border l’incongru de certaines situations cliniques. Si nous n’avons pas à céder à quelque nostalgie des temps anciens ou quelque accroche à des diagnostics ad hoc classiques, nous avons à interroger la nouvelle distribution diagnostique ordonnée aujourd’hui par l’infiltration du discours de la science dans l’appréhension de manifestations du « corps parlant ». Prenons par exemple, la « neurasthénie » décrite avec richesse et générosité en 1869, qui a disparu des diagnostics contemporains… alors même qu’un grand nombre de tableaux cliniques pourraient encore aujourd’hui l’évoquer. La « neurasthénie » a cédé le pas au « syndrome de fatigue chronique », diagnostic qui se pose – comme beaucoup d’autres – à partir de phénomènes cliniques qui font signes… mais disent-ils encore ce qui se joue entre le Sujet et ce qui le cause. Sans doute pas. Si la subjectivité de l’époque a changé, le Sujet lui a emboité le pas et, de fait, les manifestations symptomatiques aussi !
La cause est aujourd’hui bien souvent neurobiologique. Le TNF – le Trouble Neurologique Fonctionnel (non lésionnel) qui comprend les CNEP, les crises non épileptiques psychogènes – est devenu – une maladie. Exit le Sujet ! On peut extraire toutefois, dans la définition du CNEP, des symptômes dits « non consciemment provoqués » qui font signe d’une dimension autre, une dimension plus inconsciente… Tous pris, soignants comme patients, dans ces nouveaux discours, il s’agit de se faufiler, se glisser, percer, réaliser une autre offre visant à faire reconnaître l’affect en jeu et la dimension toute subjective à l’œuvre.
En cette période sanitaire particulière de COVID – affection médicale avérée – les corps sont mis à rude épreuve et l’apaisement jusque là possible dans une relation à son médecin ne suffit plus. Le patient – ou sa famille – n’a de cesse d’élaborer des théories angoissées sur ce qui lui arrive et résiste à entendre la part toute subjective qu’il y a mis. Nous constatons en médecine que nombreux symptômes ne trouvent pas issue avec un simple diagnostic somatique… et que les boussoles manquent pour que chacun se positionne sur ce qui lui arrive. Nombreux patients viennent dire leur inquiétude quant à l’éventuelle grave issue de cette affection pandémique et trouve là issue à leur angoisse. Dans un phénomène des plus identificatoire – et osons dire légitime en la période – les patients réclament secours ! Est-ce de l’appréhension ? de l’angoisse ? de l’anxiété ?
Les corps font signes épuisés par cette « privation généralisée ». Aujourd’hui, l’angoisse est présente dans toutes les consultations et l’appréhension des symptômes – fussent-ils médicaux – doit la prendre en compte. Des signes qui ne sont pas éprouvés comme conséquence de l’angoisse. L’enquête médicale doit prendre le temps nécessaire afin que les patients fassent le chemin vers cette dimension qui joue sa partie en eux.
La clinique en pédiatrie demande ce temps là. Les praticiens n’ont pas été « formés » aux modalités d’adresse à un enfant mais l’expérience de terrain les oblige à une destitution. Le savoir médical ne suffit pas. Les médecins, les infirmières et autres professionnels de santé n’ont de cessent de rassurer les enfants et prennent en compte dans leurs examens et consultations « ce que recouvre le symptôme ». Le symptôme recouvrait l’angoisse. Levant le symptôme, la subjectivité se dit dans la rencontre et se traite dans le transfert. Mais qu’en est-il quand le symptôme, insiste, persiste, ne se lève plus ? Quand le symptôme signe le repli voire l’abri du patient ? Le symptôme sert à quelque chose. Les praticiens apprennent sur le terrain que le symptôme n’est pas qu’un signe et que des enjeux éminemment subjectifs y sont engagés.
« Il va de soi, en médecine, que le symptôme est quelque chose qu’il s’agit de faire disparaître : l’angoisse est un symptôme comme un autre à faire disparaître… Poser la question de désangoisser sépare d’emblée psychanalyse et soin médical ».
Eric Laurent, « Désangoisser ? » Revue, Mental 13, p 21
Les Docteurs Émilie Carré et Gauthier Foulon – gastro-entérologues, pédiatres – et Margaux Salmon – interne en pédiatrie – nous présenteront une vignette clinique dont nous essaierons de prélever les points logiques.
SI Freud a pu décrire les ressorts des symptômes névrotiques, sa recherche dépasse la simple dichotomie entre névrose et psychose : « On ne sait pas dire grand-chose sur de tels symptômes … comme si l’énergie totale de celui-ci s’était concentrée sur cet unique morceau (de corps) ». Freud a décrit des symptômes très variés dont les ressorts ne se donnaint pas d’emblée : au final « le moi se comporte envers eux comme s’il n’était pas impliqué ». Défense, détachement, décrochage, échec du refoulement, ces symptômes relèvent d’un réel inaccessible : « l’expérience vécue ne se trouve pas oubliée, mais dépouillée de son affect et ses relations associatives se trouvent réprimées ou interrompues, si bien qu’elle reste là, comme isolée et qu’elle n’est pas reproduite dans le cours de l’activité de pensée ».
Freud nous invite plus que jamais « à quitter ce domaine infertile » qui est celui de vouloir à tout prix trouver une issue d’explication univoque au symptôme. Telle sera notre boussole dans notre clinique et nos élaborations !
Sigmund Freud, Œuvres complètes, 1923-1925, Inhibition, symptôme, angoisse, Paris, PUF, p. 229, pp. 238-239.